Description
Nous avons choisi d'aborder Catulle par ce qu'il nous laisse: un desordre et un secret.Ce desordre est une source d'imaginaire: en effet, la memoire du lecteur s'ingenie a en reconstituer les themes par le biais des personnages notamment.La "dissemination poetique" creee paradoxalement par le regroupement metrique engendre, avec ce double mouvement de liaison et de separation qui caracterise Catulle, une dynamique temporelle troublante. L'espace poetique fragmente (volontairement ou non) appelle un temps unifie, les hiatus appellent les ressemblances. Dans le monde catullien, chaque etoile fait signe et cherche sa constellation.Il nous est ainsi apparu d'emblee que le travail de reprise, de retour, de ressassement meme de l'ecriture allait de pair avec une poetique de l'inexprime. Qu'il s'agisse de passions lyriques ou allegoriques, l'auteur decline sa culture affective tout en cherchant des structures ideales et des styles multiples soumis aux exigences des genres. L'ellipse et la digression figurent assez bien l'insatisfaction de l'artiste face au langage explicite et au trace rectiligne; il cultive l'implicite et le detour, il detourne les signes au profit des surprises qu'ils enferment. Meme pour toujours redire, il redit autrement. C'est le chatoiement du langage versicolore ou ses brusques contrastes qui l'interessent surtout.D'ou l'importance des voix differentes, des figures qui escortent chaque poeme afin qu'impressions diffuses et violentes deviennent expressions stylistiques. La mimetique catullienne serre les emotions au plus pres, par le dialogue notamment, mais aussi elle les place a distance grace au tissage des images dont l'"ecphrasis" et l'allegorie sont les lieux majeurs.Ainsi la rhetorique evolutive de Catulle suit le processus des recherches stylistiques les plus personnelles: notre seconde partie tente de visiter l'atelier du poete, en considerant les aspects rhetoriques et stylistiques de son oeuvre. Parole romaine et accents italiques croisent une preciosite grecque valorisante. Catulle use d'une oralite ludique et festive, il la dote de capacites inventives nouvelles; sa parole est ouverte aussi bien aux eclats du forum qu'a la verve de l'insulte, il capte la vie des mots quotidiens et stylise les effets: il retranscrit dans les registres choisis, en fonction d'une situation, d'un contexte enonciatif fictif, les petites et grandes dramaturgies du ressenti. Le poete explore les modes d'expression pour en souligner le caractere emotionnel. Il ne les choisit pas sans leur insuffler la force d'une persuasion sensible.Catulle s'avise des charmes trompeurs et veridiques, pourtant, de la parole: le locuteur se revele souvent grace a ce paradoxe, avec ses manques, ses exces, hyperbole et litote reunies. Mais l'arbitre des elegances passionnelles ne serait-il pas le "carmen", ce chant fluide de la chanson eolienne qui peu a peu se ritualise dans le distique? Catulle tourne l'hexametre vers le pentametre, il cadre une pensee (concettisme avant l'heure?) et lui imprime un mouvement de seduction: le poete sans doute cherche a rendre desirable sa parole, il en fait un symbole sensible. Il active, pour ce faire, les ressources lexicales et rythmiques, visant une facture achevee du poeme. Le poeme 64, souvent analyse, figure un art inquiet qui tend a se stabiliser.Mais toujours la recherche poetique des expressions du moi se fait en dialogue double: en amont, avec les poetes grecs - Sappho, Callimaque notamment - il rassemble la violence et la grace, son erotisme devient passion. En aval, avec les poetes de l'elegie - Properce, Tibulle, Ovide - il trace la route ou s'aventurent les paradoxes du desir et les illusions du coeur, mais aussi la beaute des images. Il figure jusque chez Horace, Seneque et Martial ce mouvement intermediaire d'absorption de l'hellenisme "baroque" et sa reaction classique: Catulle evolue vers une poetique de la profondeur, entre l'ombre et la lumiere des figures.